L’interview de Laura Nsafou, auteure de l’album jeunesse « Comme un million de papillons noirs », aux éditions Bilibok

Mrs Roots Laura Nsafou

crédit photo: Franck Aubry

 

A l’occasion de la campagne de financement participatif sur Ulule de l’album jeunesse « Comme un million de papillons noirs » aux éditions Bilibok, écrit par Laura Nsafou et illustré par Barbara Brun, nous avons pu interviewer l’auteure pour qu’elle nous parle des enjeux qui entourent la sortie de cet album tant attendu.

AKS: -Bonjour Laura Nsafou! Est-ce que tu peux te présenter à nos lecteurs.rices?

Laura: -Bonjour ! Je suis blogueuse afroféministe depuis maintenant quatre ans sur mrsroots.fr, et membre de l’association culturelle Diveka. Je suis également auteure de romans et récemment de livres pour enfants.

AKS: -Tu as scénarisé le livre « Comme un million de papillons noirs » aux Editions Bilibok qui est déjà en pré-commande et qui sortira à la rentrée 2017. La campagne de financement participatif sur Ulule est un succès et l’objectif de 100%  a été atteint en moins d’une semaine. Cela témoigne d’une demande réelle et pressante de livres jeunesse avec des héros.ïnes noirs consistants. A quel moment as-tu pris conscience d’un sérieux manque de représentations constructives des enfants afro-descendants dans la littérature jeunesse?

Laura: -Je pense que ça a toujours pallié ma vie personnelle et que j’ai su l’analyser en devenant adulte. Enfant, je me rappelle avoir cherché un personnage qui me ressemblait dans Tom-Tom et Nana, même si j’adorais la BD. En étant étudiante en lettres, même scénario : je ne me voyais pas dans la littérature française, ou rarement hors des stéréotypes. Du coup, avec l’ouverture de mon blog et ma formation en édition, j’étais très sensible aux problématiques soulevées aux Etats-Unis autour du mouvement We Need Diverse Books. Ayant moi-même attendu mes 20 ans pour me voir représentée dans un livre de Toni Morrison, je me suis intéressée à ce manque cruel de diversité dans la littérature, non seulement pour adultes, mais aussi pour enfants. J’ai écrit un article sur le sujet – il y en avait très peu à l’époque, et ça a été ma première entrée sur le sujet. Ironie du sort, c’est comme ça que mon éditrice m’a trouvé !

AKS: -Quelles ont été tes inspirations les plus fortes pour imaginer l’histoire de ton personnage Adé?

Laura: -D’abord, mon vécu. C’est assez commun pour une petite fille noire de se faire moquer ou harceler pour son apparence, et mes cheveux y sont passés. Je me suis basée sur un souvenir où je rentrais de l’école et où, après avoir été moquée pour ma coiffure, je demandais à ma mère de la défaire. Ma mère a refusé, bien sûr, mais a surtout insisté sur le fait que le regard des autres ne me définit pas. Elle a toujours été afroféministe sans dire le nom, au fond (rires).

L’histoire d’Adé part de ce schéma, et j’y ai ajouté cette relation très intime  à la mère dans le fait d’être coiffée : j’ai passé des heures assise entre les jambes de ma mère, avec des odeurs de coco, des brosses qui apportent un peu de douceur après la douleur du peigne… Il y avait vraiment quelque chose de l’ordre de la transmission que je voulais mettre dans ce livre.

Enfin, ayant des origines afro différentes, je voulais en profiter pour montrer la diversité des communautés afro, à travers les tantes notamment.

gif mrs roots

AKS: -« Comme un million de papillons noirs », avec la symbolique du pouvoir de la transformation personnelle que porte le papillon,  met le doigt sur la question des cheveux crépus comme un enjeu politique et sociétal dans nos existences. Même une petite fille noire qui n’a pas conscience de tous ses mécanismes n’est pas épargnée. Quelles étaient les réponses et la vision que tu souhaitais absolument faire passer à travers l’histoire d’Adé et de ses parents?

Laura: -Déjà, la notion de responsabilité. Il y a trop souvent un certain laxisme par rapport au harcèlement des enfants afrodescendants, et je pense qu’il est important de responsabiliser à la fois les enfants, mais aussi les équipes pédagogiques, les professionnels de l’édition, et les adultes en général dans la manière dont on traite cette réalité. Les enfants reproduisent les discriminations qui les entourent.. C’est à nous de déconstruire nos discours et d’avoir une attitude préventive.

Quand je vois le nombre de livres pour enfants où le héros ou l’héroïne « ne s’aime pas », comme si c’était un désamour inné, je trouve qu’on déresponsabilise les autres. Pourquoi ne s’aime-t-il pas ? A cause de qui et de quoi ? La confiance en soi se construit, mais sa base est d’autant plus fragilisée lorsqu’un enfant est dénigré pour son apparence. Ça commence très jeune. Idem lorsque les parents afrodescendants sont absents de la narration… Pourquoi ? Idem lorsqu’on cantonne l’apparition d’un enfant noir à une vision coloniale de l’Afrique avec la savane, etc.

C’est trop facile. Il faut questionner la littérature jeunesse actuelle et, à mon sens, le succès de la campagne est justifié par cet élan : les lecteurs (particulièrement les parents, concernés et non-concernés) savent ce qu’ils veulent transmettre aux enfants. Il est nécessaire que ce soit une prise de conscience collective. Avec l’histoire d’Adé, on a vraiment voulu insuffler tout ça.

AKS: -C’est également un challenge pour les parents que de pallier aux besoins d’estime de soi des enfants noirs et d’accompagner leur enfant perçu comme racisé dans l’espace public, alors même qu’ils manquent d’outils pédagogiques pour exercer leur rôle. Quel est ton constat par rapport aux stratégies adoptées par les parents d’enfants noirs qu’il y a autour de toi?

Laura: -Je ne suis pas parent, mais j’ai remarqué qu’il y a un vrai élan dans cette idée de « transmission responsable »: de plus en plus de parents sont à l’affût d’une offre éditoriale qui reste trop souvent en décalage avec notre société,. Ils n’hésitent pas à le dénoncer auprès des éditeurs et éditrices. Les réseaux sociaux ont participé à la popularité de ces discussions aussi, et je pense que c’est aussi le signe d’une rupture avec l’idée d' »assimilation ou de norme à tout prix ».

Désormais, on cherche des livres qui abordent différents sujets qui dépassent le white gaze (ce prisme universel d’un homme blanc aisé valide, etc,etc) : la question d’une identité aux multiples origines, la place de la tradition dans l’éducation, la manière d’expliquer aux enfants le racisme, le sexisme, le validisme selon leurs différences… Ce sont des thèmes qui sont peu abordés. La littérature anglophone est plus en avance sur ces questions, là où celle française est, je pense, prisonnière de ses schémas édulcorés et de ses raccourcis. Les parents ont eu le temps – par leur vécu et par des discussions entre parents – d’exercer leur œil critique pour voir ce manque. C’est également un regard critique que les professionnels de l’édition devraient avoir, éditeurs comme illustrateurs, car il ne suffit pas de mettre un bonhomme noir pour combler les attentes (rires).

AKS: -Vis à vis de ton parcours global en tant que blogueuse et auteure afroféministe, quels sont pour toi les actions prioritaires à mettre en place pour l’éducation des filles noires en occident?

Laura: -Pour être membre de l’association Diveka (Diversité & Kids), ce sont des considérations auxquelles on réfléchit pas mal (et pas uniquement auprès des petites filles noires en Occident, d’ailleurs). Les actions prioritaires, pour moi, sont déjà l’éducation et la valorisation. Mais déjà, il y a vraiment un enjeu dans le cadre scolaire : les jouets visant à les représenter commencent à se populariser tout doucement, mais le livre pour enfants comme support est, à mes yeux, fondamental. Elles ont besoin d’histoires qui cultivent leur insouciance, et à la fois qui les éduquent dans ce qui les attend. C’est politique que de leur permettre de se voir et de rêver, mais aussi de les armer dans un système déjà établi. Ça passe par le culturel, bien sûr, mais aussi par le politique.

comme un million de papillons noirs
Un grand merci à Laura Nsafou pour cette interview et son engagement.
Vous pouvez toujours pré-commander l’album « Comme un million de papillons noirs » sur Ulule et aider les Editions Bilibok a atteindre un nouveau pallier!

Plus d’infos:

Mrs Roots le blog afroféministe de Laura Nsafou

Les Editions Bilibok

La page Ulule « Comme un million de papillons noirs »

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