Les 7 principes de soutien au cadre familial panafricain selon Niara Sudarkasa

A l’heure où les diasporas afro se tournent de plus en plus vers le continent en y puisant une inspiration créative et spirituelle, de nombreux parents afro-descendants ont compris que l’éducation de leurs enfants n’est plus seulement un enjeu de réussite et la promesse d’une ascension sociale, mais cette éducation sera aussi le ciment d’une conscience communautaire indispensable à l’émancipation de tout un continent qui demeure dans nos cœurs et dans nos esprits. Afin d’aiguiller les parents désireux de transmettre des valeurs et une vision du monde panafricanisée dont le sens prend naissance au sein d’un paradigme afro, voici quelques informations théoriques sur les sept principes de soutien au cadre familial panafricain, théorisés par Niara Sudarkasa, doctorante en anthropologie, première femme noire à enseigner à Columbia University, première femme noire à enseigner à New York University, première africaine américaine à enseigner l’anthropologie à University of Michigan, et la première femme à la tête de Lincoln University.
Le socle de l’éducation avec les principes panafricains
Niara Sudarkasa, anthropologue et militante afro-américaine qui a travaillé sur des problématiques familiales, se focalisant sur les familles africaines américaines aux Etats-Unis ainsi qu’au Nigéria où elle vit, a dressé la liste de sept principes fondamentaux à partir desquels un cadre familial pourra effectivement donner lieu à une éducation panafricaine en mesure de porter ses fruits. Elle a nommé cette liste de principes les « 7 R »*, car ils commencent tous par la lettre R. Nous nous attelons ici à les analyser et à les critiquer pour mieux se les approprier.
1. Le Respect
Le respect mutuel est un principe d’éducation fondamental qui garantie des relations apaisées entre les membres d’une famille, entre les membres d’une communauté. Le respect est également une reconnaissance de la particularité de chaque membre qui possède une expérience et un savoir différent selon son âge et son rôle. Mettre en pratique un respect mutuel permet de se mettre à la place des autres, et d’appliquer le respect des plus vulnérables: prendre soin des anciens, la bienveillance éducative envers les bébés, les enfants et les adolescents. On parle aussi de respect lorsqu’il s’agit de reconnaître le sentiment d’appartenance via des valeurs spirituelles: le respect des traditions, le respect des ancêtres, et au sens le plus large, le respect de notre environnement naturel. Selon nous, le respect permet une meilleure communication entre les membres de la famille, et ainsi favorise la résolution des conflits, mais pour cela, il est nécessaire que le respect soit mutuel et non dans une verticalité ascendante, et que ce principe prenne pleinement en charge les problématiques réelles des oppressions liées au patriarcat, le respect de l’intégrité physique et l’éducation non violente des enfants.
2. La Responsabilité
La responsabilité renvoie à la notion du devoir, et dans le cadre familial, il implique d’assumer les responsabilités inhérentes à la parentalité, qui sont le devoir de sécurité, de soins, d’instruction et de moralité envers les membres de la famille. Appliqué à un cadre familial panafricain, la responsabilité renvoie aussi à un cercle bien plus large et s’étend à la communauté. La responsabilité communautaire est un principe qui pourra garantir l’application réelle de valeurs telles que la solidarité, la fraternité, la sororité, et pourra ainsi favoriser l’accès à un meilleur réseau d’éducation, à un mode de consommation familial ancré dans des pratiques communautaires « black business » qui peut alors avoir un impact économique et être un soutien de taille pour nos communautés. De notre avis, la responsabilité communautaire est un principe fédérateur sans lequel il ne pourrait y avoir une véritable union pour atteindre un objectif commun. Se sentir responsable vis à vis des nôtres va de pair avec le devoir de rester intègre.
3. La Retenue
La retenue est un principe qui, en contexte occidental où le système entier pousse à l’individualisme, est difficile à mettre en oeuvre. Ce principe consiste à renoncer à une décision personnelle quand elle engage ou va à l’encontre des intérêts du groupe, ou bien de prendre une décision personnelle contraire à son propre intérêt mais utile au groupe. La retenue, de notre point de vue, est le principe le plus exigeant, et il n’a pas lieu d’être si les six autres principes de soutien au cadre familial panafricain ne sont pas respectés, car cette retenue doit être compensée par un gain qui prendra la forme d’une reconnaissance (communautaire ou morale), même si celle-ci n’est pas immédiate. Pour certaines individualités, la retenue est une véritable mise à l’épreuve, qui peut parfois, s’il y a des abus, se transformer en une injonction ou à un chantage affectif. Si le choix d’une décision personnelle se fait au détriment de l’intégrité psychologique, morale ou physique de la personne concernée, alors la retenue est un principe abusif. A contrario, si ce choix de faire passer avant tout les intérêts du groupe est pris en pleine conscience, après mûre réflexion et avec le consentement de la personne concernée, alors ce sacrifice peut être considéré comme bienveillant.
4. La Réciprocité
La réciprocité est le principe qui viendra équilibrer la balance face au principe de la retenue. Il s’agit donc d’apporter à la communauté la valeur équivalente à ce qu’elle nous a apporté ou à ce qu’on lui a pris. La réciprocité va de pair avec les principes de respect et de retenue. C’est un rappel de la mutualité des rapports que les membres d’une communauté entretiennent vis à vis de celle-ci. De notre point de vue, la réciprocité est le principe qui vient consolider le rôle de protection de la communauté. En effet, si la communauté tire sa force du soutien des membres qui la compose et qui, au niveau individuel, peut être difficile à exécuter, celle-ci doit apporter en retour un soutien décuplé. C’est un cycle vertueux qui doit profiter à la communauté toute entière.
5. La Révérence
La révérence est le principe qui va inscrire la spiritualité en lien avec le culte des ancêtres dans le cadre familial panafricain. La révérence est très liée au principe du respect. Selon nous, elle permet à la fois de délivrer une vision du monde terrestre réconciliée et dialoguant avec le monde de l’au-delà, et en même temps de replacer la communauté comme faisant partie d’une cosmogonie bien plus grandiose qui invite donc à l’humilité.
6. La Raison
La raison est le principe souvent invoqué dans le cadre de la résolution de conflits et consiste à apporter une solution par le compromis. Cette priorisation du compromis en interne, de façon à apporter une part de satisfaction aux différents partis concernés, permet non seulement une autorégulation de la communauté ou de la structure familiale, par exemple dans des cas fréquents de conflits liés à la succession, qui va donc protéger la communauté d’une ingérence extérieure (par exemple celle de l’Etat). Sous certaines formes, le principe de la raison va se manifester dans l’art oratoire, par exemple les « kabary » qu’on retrouve en Afrique Australe et qui consistent à user de tout son génie poétique et dialectique pour délivrer de longues déclamations, impliquant la communauté en captant l’attention mais jamais dans une confrontation brutale, tout en exposant les faits ou un point de vue. La rationalité dans le mode de fonctionnement de la communauté panafricaine est primordiale et se retrouve réellement partout. Elle codifie les interactions entre les différents membres de la communauté, et le fait que cela reste un principe fondamental au soutien d’un cadre familial panafricain contraste souvent avec l’idée répandue que l’on se fait des mondes afro si on y appose un regard occidentalo-centré.
7. La Réconciliation
La réconciliation est le principe qui va réparer les liens qui ont été brisés et qui va permettre d’accéder à un état de confiance mutuelle permettant une élévation communautaire. La réconciliation est, tout comme la retenue, un principe exigeant un travail sur soi-même, qui prend du temps, qui exige aussi une bonne compréhension des mécanismes à l’oeuvre dans la communauté et autour d’elle. Quand on parle de réconciliation, on évoque de ce fait la réconciliation au sein des couples, une réconciliation familiale qui doit s’opérer malgré une histoire commune douloureuse où chaque circonstance durant les siècles d’esclavage et de la colonisation desquels nous sommes les survivants, était faite pour séparer tous les couples afro-descendants. La réconciliation ne peut advenir sans une reconnaissance des préjudices mutuels. Si on étend ces liens à toute la communauté dans le courant du panafricanisme, il s’agit alors de faire front commun, de faire famille. La réconciliation concerne également le renforcement des liens entre la diaspora africaine et caribéenne et le continent africain, où il sera nécessaire de reconsidérer ce qui nous uni tout en analysant les rapports de pouvoirs et d’inégalité qui peuvent s’opérer. La réconciliation indique l’acte du pardon, et pour pouvoir pardonner il faut d’abord identifier le mal qui a été commis grâce à la réappropriation de notre histoire commune, pour ensuite y mettre un terme, et enfin s’autoriser la résilience transformatrice. A une échelle plus grande, la renaissance africaine, qui est l’objectif global auquel aspire le panafricanisme.
*Sources:
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« The Politics of Passion: Women’s Sexual Culture in the Afro-Surinamese Diaspora » de Gloria Wekker,
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Vidéo « Back to Afrika » de Amzat Boukari Yabara https://www.youtube.com/watch?v=yZP1bXGjNU8
- Niara Sudarkasa- A Woman of High Purpose
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